Interview de Morpheen

Au-delà de la blogosphère BD girly, vire-voltent au gré des pulsions artistiques certaines artistes amateures se présentant comme un vent de fraicheur dans une sphère qui, sans étonnement, peine à se renouveler.

C’est dans ce cadre quelque peu révolutionnaire que s’intègre Morpheen, une jeune femme au champ chromatique limité, au trait soigneusement ébourrifé.
Entrez dans un univers entre le glauque et le bisounours, en rouge et blanc, dont le seul fil conducteur est celui de l’humour, parfois touchant, jamais pesant.

Bonne lecture !

Bonjour Morpheen ! Peux-tu nous présenter qui se cache sous ce pseudonyme ?

Salut ! Morpheen est mon pseudo d’illustratrice, à ne pas confondre (comme ça arrive souvent) avec le nom du personnage, Oni. Sous le pseudo, il y a une brume fortement théinée avec à l’intérieur une blogueuse dotée d’une vision à champ chromatique limité (rouge / blanc / gris). Je tiens à préciser que j’existe en vrai, même si je n’ai pas les cheveux rouges. Je dis ça parce qu’on me prend souvent pour un fake de quelqu’un de plus connu. Et j’ai vraiment une roulette à pizza.
Dans la vie, je ne suis pas illustratrice professionnelle, bien que j’aie déjà bossé pour un magazine. Je fais des études de lettres dans une école qui prépare plus ou moins à l’enseignement.

Comment se déroule ton « travail », la conception des strips, du concept même à leur application papier ? Dans quelle ambiance travailles-tu, et qu’est-ce que cela t’apporte concrètement ?

En général, j’invente mes strips en marchant. Ils viennent souvent d’anecdotes vécues que je déforme ensuite pour les rendre plus « bloguesques ». Je note les idées, puis j’en prends une de temps en temps pour faire mon post du jour. Je dessine les strips avec un stylo très fin, la couleur est réalisée aux marqueurs à alcool et les fonds tantôt à l’aquarelle, tantôt sur ordi. Je dessine le plus souvent la nuit, pendant de longues insomnies, avec de la musique qui correspond à ce que je dessine : selon les jours, la playlist « Mort lente et douloureuse », « Bisounours » ou encore « Prozac ».

Pourquoi avoir choisi cette orientation stylistique, à la fois simplifié et précise ?

J’ai commencé à dessiner les aventures d’Oni pendant les cours chiants, donc ça m’obligeait, pour rester discrète, à le faire sur un coin de copie et le plus rapidement possible, d’où le style assez simplifié. Quand j’ai décidé de commencer un blog, j’ai trouvé que les premiers strips d’Oni étaient vraiment torchés n’importe comment, alors j’ai pris le temps de lécher un peu les dessins et j’ai ajouté la couleur. C’est aussi à ce moment que je me suis dégagée de ma toute première influence bloguesque : à l’origine, je ne dessinais les strips que pour m’amuser à mettre en scène ma vie quotidienne en prépa, et j’avais trouvé que rien ne rendait mieux que les « Petits théâtres de la loose » de Goretta, qu’on commençait déjà à voir pastichés sur d’autres blogs. Quand j’ai eu mon propre blog et que mes visites ont commencé à augmenter, je ne pouvais plus continuer à faire ça, donc je n’ai gardé que la forme en quatre cases et une éternelle admiration pour Goretta.

Quelles sont tes inspirations, les auteurs qui t’ont marquée ?

En ce qui concerne mes autres influences, je trouve que la perfection en dessin s’incarne chez Yukito Kishiro, l’auteur de Gunnm. Mes autres dieux sont Enki Bilal, Juanjo Guarnido et les auteurs de Skydoll, Barbucci et Canepa.
Je sais que mon univers a un petit côté glauque, c’est tout à fait voulu. Si je devais résumer, c’est un peu de la guimauve trempée dans du sang chaud, ou des bisounours qui font une orgie à la gloire de Satan.

Prépares tu différents projets à l’avenir, autour de cet univers parfois cru, souvent déjanté de Morpheen, mais aussi hors de cette catégorie ?
As tu déjà reçu des propositions (Newlook mis à part), pour fructifier tes dessins ?

« Je sais que mon univers a un petit côté glauque, c’est tout à fait voulu. Si je devais résumer, c’est un peu de la guimauve trempée dans du sang chaud, ou des bisounours qui font une orgie à la gloire de Satan. »

Si tu penses aux nombreux blogs qui sont maintenant publiés sur papier, non, je n’envisage pas pour l’instant de publier Oni. Mon blog est trop jeune pour ça, il faut qu’il gagne encore un peu en maturité et que j’aie plus de strips à proposer. En dehors, j’ai un ou deux projets BD qui languissent dans mes tiroirs, notamment une adaptation de Rhinocéros de Ionesco, mais mes études ne me permettent pas de m’y consacrer à fond. Et puis je dois avouer que je suis toujours un peu hésitante quand il s’agit de monter de vrais projets… Je bosse en ce moment sur un collectif et j’ai un autre projet, mais secret pour l’instant ! Et pour s’éloigner encore plus d’Oni, j’espère pouvoir exposer un jour mes peintures à l’huile.
On m’a déjà fait de petites propositions, oui, du style illustrer des couvertures de bouquins ou des choses de ce genre, mais jamais un éditeur n’est venu pleurer pour que je publie chez lui !

Que penses tu de la place actuelle des Blogs BDs sur le web ? Quel est leur impact sur le visitorat, ou la Bande dessinée en générale ? Sont-ils une alternative valable à certains sitcoms voyeuristes douteux qui ornent le petit écran ?

Franchement, la blogosphère rassemble le meilleur comme le pire. Les blogs BD, en règle générale, présentent des choses vraiment intéressantes, très variées, et mettent en valeur des talents qui n’ont pas (encore) eu l’occasion d’être publiés. Je crois que les blogs ont surtout changé quelque chose dans le rapport au lectorat : ils sont bien plus interactifs que les BD papier, le blogueur est une nouvelle sorte d’auteur, c’est quelqu’un qu’on peut rencontrer assez facilement, avec qui n’importe qui peut échanger. Enfin, il me semble qu’il n’y a rien à voir entre les blogs BD et les sitcoms voyeuristes douteux. La plupart des blogueurs racontent leur vie, mais généralement avec tout le décalage qu’implique la BD et avec beaucoup d’humour ou de poésie, sinon ça n’aurait aucun intérêt. Même des blogs de couples comme le Love-Blog ou le Slouna Blog ne me paraissent pas voyeuristes, ils sont juste désopilants et d’excellente qualité.

Quels conseils donnerais-tu aux gens qui veulent commencer un blog BD ?

Commencer par travailler leur style BD avant de penser à monter un blog. Beaucoup de très jeunes dessinateurs font des blogs avec des dessins recopiés au crayon de bois sur des mangas sirupeux et finissent déçus parce qu’ils n’ont pas d’audience ; mieux vaut avoir d’abord une idée de quelque chose de personnel, qu’on ait vraiment envie de réaliser. Il est très formateur de faire les salons avec son pressbook sous le bras et de demander des conseils aux pros, d’autant plus qu’ils répondent souvent très gentiment, même les connus (j’ai reçu comme ça les précieux conseils de Wolinski sur le festival d’Angoulême). Ensuite il faut dessiner, dessiner et encore dessiner, mais l’essentiel reste quand même de se faire plaisir.

Quelle est LA question que tu aurais aimé que l’on te pose ?

La question que j’aurais aimé qu’on me pose ? Euuuh… « Veux-tu m’épouser ? », ç’aurait été du plus bel effet.

Un lien de site, blog, que tu aimerais nous faire partager, et si oui, pourquoi ?

Plutôt que de donner l’adresse de Deemoes, Lune Rousse ou Shyle, que j’adore tous les trois (ils sont bien en évidence dans ma colonne de liens), j’aimerais suggérer deux blogs plus discrets dans mes liens mais que j’aime particulièrement : d’abord Néon (http://grugru.canalblog.com) qui fait des choses vraiment merveilleuses même s’il ne poste presque jamais, et Nails le hollandais fou (http://nails.hoogerbrugge.com) qui a un humour complètement déviant.

Un mot, un unique, pour les lecteurs de Nunya.fr et ceux de Morpheen ?

« Kwak. » Et à toi, merci !

Tags: art, bande dessinée, blog bd, dessin, interview, morpheen, nunya

A propos de Nunya

Perdu entre quelques chroniques, affres juridiques et amour immodéré de transmédia, Nunya est un jeune demi-chauve optimiste et passionné de culture populaire, particulièrement bien dans son époque.