Ano Hana

Il est loin, le temps où Jin-tan, Menma, Poppo, Anaru, Tsuruko et Yukiatsu courraient d’une rue à l’autre pour protéger le monde, du haut de leur base secrète. Mais un incident tragique entraînant la disparition de Menma aura raison de ces autoproclamés super-défenseurs de la paix, ceux-ci préférant s’exiler chacun de leur côté pour vivre différentes aspirations. Devenu adolescent et incapable de surmonter son traumatisme, Jin-tan s’est exclu de la société qu’il se revendiquait de protéger, préférant survivre dans sa chambre, jusqu’au jour où le fantôme de Menma apparaît pour le rencontrer. Persuadé d’être victime d’hallucinations, le jeune homme pourtant ragaillardi n’aura de cesse que de reformer son ancien groupe d’amis dont il était le leader, afin de réaliser le vœu de la défunte et l’emmener de l’autre côté. Mais alors qu’il pensait la blessure refermée pour ses anciens compagnons, la quête de l’ascension de Menma s’annonce comme un long chemin de croix où la culpabilité et l’amertume viennent couvrir le désir d’honorer la mémoire de la jeune fille…

Ano Hi Mita Hana no Namae o Boku-tachi wa Mada Shiranai, abrégée Ano Hana, est une réponse délicate à ceux qui voyaient encore l’animation traditionnelle comme une forme bâtarde perdue entre deux époques, ou qui n’y voient là qu’un étalage enfantin de sentiments grossiers, impropres à dépasser le cadre de réussite technique. Et si cette dernière est un premier gage de qualité, elle ne doit pourtant jamais être unique : Cela revenant à offrir une bière au gars ayant lustré le Jugement Dernier de Michel-Ange.

Réalisé en 2011 sous la direction de Tatsuyuki Nagai – Monsieur Toradora! – et produit par le célèbre studio d’animation A-1 Pictures (Blue Exorcist, Working!!), Ano Hana fait partie de ces indomptables de l’animation japonaise, qui en une poignée d’épisode, viennent marquer de leur emprunte une culture populaire pourtant riche en créativité et en émotivité. Et n’en déplaise à certains hasardement autoproclamés fins analystes de l’animation nippone, la dernière production de A-1 prouve une nouvelle fois que c’est bien de la qualité du traitement et de sa simplicité que naissent les plus belles histoires.

On pourrait ainsi longtemps épiloguer sur la forme d’Ano Hana, de son apparence enfantine, de la pureté visuelle qui s’en dégage, de l’efficience de ses compositions musicales ou encore de son animation bien suivie. L’intrigue ne ralentit jamais, et on reste émerveillé devant la simplicité couplée à l’efficacité de la mise en scène, rythmant des images aux couleurs généreuses dont l’anime s’affuble avec plaisir. Ce sont d’ailleurs les différentes fresques peinturées qui viennent donner vie à une puissante mélancolie qui trace le sillon de la narration. On ne peut d’ailleurs qu’apprécier au passage la retranscription fidèle des décors de Saitama, tels le fameux Chichibu Bridge (秩父橋), central dans la série.

Pour autant, si la forme est de qualité, c’est bien de sa propre narration qu’Ano Hana vient tirer sa force, celle qui, en partant d’un déclencheur clé classique – la disparition de Menma –, offre un feu d’artifice de thématiques au traitement pur et personnel, où les personnages surclassent le cadre de l’histoire.

En plongeant pleinement dans les travaux d’Elisabeth Kübler-Ross sur les phases successives amenant l’humain à accepter la mort d’un autre, Ano Hana choisit de traiter la question de l’acceptation du deuil par son propre déni. Celui de Jin-tan, enfermé entre quatre murs, celui de Poppo, préférant sillonner le monde pour fuir la réalité, ou encore celui d’Anaru, préférant forcer son changement de personnalité en enchaînant des fréquentations qui l’ignorent.

Ce déni, celui du deuil, se double indéniablement de celui du passage de l’enfance à la vie d’adulte. Car au-delà du  cadre scénaristique là pour structurer un récit efficace, le véritable fond de l’œuvre de Tatsuyuki Nagai est celui de la puberté, de son appréhension, de son altération en conséquence autant psychologique que physique, où se mêlent la nostalgie du temps qui passe et les vestiges d’un passé que l’on souhaiterait oublier.

Pour tous ces protagonistes, la souffrance intérieure de la disparition de Menma et celle de l’arrivée de la vie d’adulte sont autant de murs émotionnels ayant bloqué le processus d’acceptation, nécessaire à leur évolution.

L’arrivée du fantôme de la jeune fille aux cheveux blancs, profondément médiateur indirect de la situation, va permettre aux personnages d’Ano Hana de ressentir de nouveau, et d’accepter le changement. Celui de la disparition de Menma, et celui, en filigrane, de leur propre adolescence, à la découverte de puissants sentiments enfouis, de l’amour à la jalousie, en passant par la colère, la joie, la peine, et une implacable culpabilité, froide et brute.

On aurait pu craindre de voir, comme souvent, une multitude d’exercices fallacieux d’arracher des larmes au spectateur, en exploitant sans vergogne les ressorts mélo habituels que beaucoup de réalisateurs affectionnent, saccageant leur œuvre sur l’hôtel de leur propre incapacité à écrire.

C’est par le truchement du personnage de Menma qu’Ano Hana choisira de ne pas confondre la simplicité et la facilité de sa narration, offrant au spectateur une douce brise d’humour et de bonne humeur en décalage complet avec le déroulement global de l’anime, les rares passages profondément mélancoliques se présentant alors davantage comme des déclencheurs émotionnels pour les personnages, aux dialogues finement écrits, et des clés de compréhension d’un scénario plus subtil que supposé.

On pourrait bien sûr chipoter et refaire le derrière de beaucoup de mouches, en parlant d’une rythmique des évènements un peu plus hasardeuse sur la fin, ou du traitement trop rapide de certains personnages, mais la maladresse en viendrait presque à trouver un œil bienveillant tant elle ne trouble jamais l’éclat du récit.

Ano Hana se présente ainsi comme une aventure à la beauté éthérée, où ode à la mélancolie du passé et espoir pour l’avenir sont autant d’invitations faites au spectateur de se replonger soi-même dans ses souvenirs d’enfance avec une infinie tendresse, pour mieux aller de l’avant. Une tragédie humaine, colorée et douce dont on ne se détache qu’avec une profonde tristesse. D’une pureté touchante, le dernier né d’A-1 Pictures peut se targuer d’être le meilleur anime du printemps, et l’une des plus grandes perles de l’année 2011. Une poésie à l’état brut.

Nous allons grandir.
Et quand les saisons s’écouleront, les fleurs qui épanouissent le long de la route changeront également.

Je me demande.
Quels sont les noms des fleurs qui ont éclos durant cette saison ?

Elles frémissaient légèrement dans la brise et piquaient un peu au toucher.
Et quand nous avons approchés notre nez d’elles, elles dégageaient l’odeur fraiche des rayons du soleil.
Avec le temps, cette odeur deviendra fade et nous, nous grandiront.
Mais… Je suis sur que ces fleurs continueront à s’épanouir quelque part.

Oui, car nous allons…
…Réaliser le souhait de ces fleurs pour toujours.


Tags: anime, ano hana, japon

A propos de Nunya

Perdu entre quelques chroniques, affres juridiques et amour immodéré de transmédia, Nunya est un jeune demi-chauve optimiste et passionné de culture populaire, particulièrement bien dans son époque.